Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
/ / /

J’allume mon téléphone et je regarde une photo prise dans la nuit du 1er janvier. Il est 4h du matin, elle est floue, on y voit des traits de lumière rouges, jaunes et bleus, des filaments fols empruntant tous la forme d’une virgule ou d’un point d’interrogation. Il est difficile de lire cette photo tant sa qualité est mauvaise. Je l’ai prise par inadvertance, à travers le pare-brise de notre voiture, alors que je recevais un message d’urgence de ta mère. « Mon amour, aucun accès parking pour entrer sauf Samu. Gare-toi devant l’entrée où le Samu rentre, ils disent qu’il y a de la place. On sera Bâtiment Laennec, 4ème étage. Je t’aime ».

Sur cette photo que mon mouvement à rendu illisible, on y voit l’arrière d’un camion du Samu, gyrophares allumés, traversant à toute allure l’immense tunnel de la Défense. Dans ce véhicule effrayant, ta mère et toi. Je vous suis. Difficile de ne pas vous perdre dans cette traversée insensée de Paris. Il n’y a plus de feu rouge, plus de priorité, plus de limitation de vitesse, plus de danger, il n’y a plus que ton cœur sur terre, ce petit cœur qui affole les médecins à tel point que mon univers s’effondre dans les ténèbres parisiens. Mon panthéon se dissout, l’humanité s’étiole et s’effrite. Le beau n’est plus qu’un gadget encombrant. J’abandonnerais volontiers tout ce bric à brac en rase campagne en échange d’une promesse. Je me vois déjà empiler mes héros comme leurs chefs d’œuvres en échange d’un petit cœur d’airain, sans fissure, d’une horloge atomique pouvant même résister aux assauts de l’amour. J’ensevelirais tous ces exvotos dans une fosse commune improvisée que j’aurais creusée de mes mains dans une glaise gorgée de silex. Je me vois déjà organiser devant cet aven une vaste cérémonie sacrificielle pour offrir tous les gages de ma soumission à ces dieux violents auxquels je ne croirai jamais. J’y précipite ma bibliothèque, mes disques, mes crayons, ma guitare, notre château de Bordilla et la Forge Multicolore. Je balance tout ça en vrac et si ça ne suffit pas j’y plonge le Louvre et l’océan, la poésie, le vent et les animaux, mon étoiles et mes amitiés. Et que cette nef morbide connaisse la fureur de l’incendie si l’appétit de la terre n’est pas à la hauteur de ma douleur.

Brûlez tous ici si c’est le prix !

Après deux jours passés à l’hôpital Necker, nous sortons libres. Une sortie plus radieuse encore qu’une évasion réussie. Tu vas bien. La grande santé ! Fausse alerte. Ton corps débarrassé des douze électrodes lilliputiennes qui t’interdisaient le voyage, nous filons sans demander notre reste. Tes trois kilos et quelques ensevelis sous les couvertures, nous précipitons ta libération. Invalides, Tour Eiffel, Trocadéro, Porte Maillot, la Défense, Colombes, Bezons. Nous voilà tous les trois réunis, pas une blouse blanche à l’horizon prête à te voler un peu de sang, pas d’électrocardiogramme hurlant à la mort toutes les trois minutes, pas un médecin pour nous fendre l’âme à l’aide d’une tirade dont ils ont le secret : « Rassurez-vous M. Brochard, tout va bien, c’est juste un contrôle. Sinon, juste pour savoir, y a-t-il des cas de mort subite dans votre famille ? ». Retranchés dans notre bunker de banlieue, fatigués, nous nous endormons près de toi.

A la minute où je te découvrais, exactement comme ta mère t’avait imaginé, l’amour et la peur me saisirent dans un même élan. Tes petits cris, plus aigues qu’un grincement de porte, me faisaient immanquablement monter les larmes aux yeux. Ta fragilité devenait la mienne. Comment t’aider à apercevoir le monde maintenant que la lumière t’embrasse ? Je me prépare à tes pourquoi.
Pourquoi une maman abrite autant d’amour ?
Pourquoi un papa peut se tromper ?
Pourquoi nous devons planter un cerisier ?
Pourquoi le soleil dessine un sourire dans la nuit ?
Pourquoi tout se transforme ?
Pourquoi le hasard et la nécessité président-ils à nos destinées ?
Pourquoi le travail est la seul issue ?
Pourquoi l’homme est inapte à la vérité ?
Pourquoi il faut rire de ce monde inversé ?
Pourquoi il faut vivre ?
Pourquoi faut-il qu’un jour nous rendions nos particules à ce fabuleux univers ?

Pour deviner tout cela et malgré tout rester droit, il te faudra sans doute un jour retrouver le regard noir, celui que tu avais à la minute même de ta venue au monde, quand dans un même souffle, les yeux grands ouverts, tu découvrais la lumière, l’air, l’espace et l’amour. Ne manque aucun des rares éclats de lumière qui traversent l’humanité, ils t’appartiennent Louis. Prends tout ! Partage tout ! Impose son destin à l’humanité en lui tendant un miroir impitoyable, celui que tu affronteras tous les matins, celui qui ne ment pas et qui sera ton arme. Connais toi et deviens qui tu es Louis.

Tu es maintenant sur mes genoux, la main de ta mère enamourée ordonne tes beaux cheveux roux. Tu ne te lasses pas de parcourir mon visage et chacun de mes rayons t’appartiennent désormais.
Moi, je regarde pousser tes cils et je t’aime Louis.

 

Stéphane Brochard                                                                                                  1er mars 2015

 

Partager cette page
Repost0