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   Nous sommes la civilisation du papier, le peuple qui plante des arbres pour les broyer, en faire une pâte épaisse et la transformer en enveloppes frappées du logo de la Société Générale, en tracts pour marabout sachant soumettre les femmes mieux que les chiens, où en papier photo pour Sophie Calle. Assis sur mon canapé, je décide de débarrasser ma sacoche de la paperasse accumulée. Les mains plongées dans la poche avant, mon attention est retenue par un journaliste relatant à la radio les dernières exactions d’excités en quête de pureté, dans le nord du Mali. Là-bas, des hommes détruisent à la pioche des mausolées de saints musulmans : « Furie destructrice blablabla, islamistes blablabla, crime de guerre blablabla, crime contre la culture blablabla, Bouddhas de Bamiyan blablabla, scandale blablabla ! ». Au même instant, je mets la main sur une carte postale en noir et blanc, achetée le mois passé aux Batignolles, sur laquelle on peut voir un menhir vandalisé, certains y verront « un superbe exemple de mégalithe christianisé ». Armé d’un marteau et d’un burin, juché sur une échelle, un missionnaire évangéliste a rectifié le menhir de Perven (âgé d’au moins 6000 ans) en l’affublant des instruments de la passion : le voile de Véronique, une lance, un soleil, une lune, une tenaille, un fouet, une épée, des os, une lanterne, des dés, des clous, une tête de mort, une aiguière. Il fallait bien remettre sur le chemin de la vérité cette engeance idolâtre vénérant les arbres, les pierres, les sources. En 658 de l’ère bien chrétienne, le concile de Nantes commande aux évêques de détruire les idoles païennes, ces vestiges du paganisme. 1000 ans plus tard, la bonne âme promise au paradis du Père Maunoir, se sentit pousser des ailes. Il fit arracher des arbres sacrés et jeter les pierres levées au fond de vallons humides gonflés de lande et de fougères. Les amnésiques ignorent tout du monceau de cadavres pourrissant sous leurs fondations, comme les aveugles ne savent rien des nécropoles transpercées par les piliers de leurs temples. Le drapeau de la vérité est bleu azur avec en son centre un bombardier américain. Le plus fort domine à la seule condition d’être aussi le plus violent. Nous n’entendons que le rapport de force. L’homme le plus cruel, le plus sadique, le plus meurtrier du monde est soit une retraitée américaine applaudissant au départ des troupes en Irak, soit un enfant français brandissant un petit drapeau tricolore à l’occasion du retour de soldats d’Afghanistan. Les nouveaux barbares, souvent adoubés par leurs aînés costumés, exercent opportunément leur sauvagerie à Tombouctou. Et déjà tremblent les genoux démocrates : « Mais que ne volent nos bombardiers au secours de notre vertu et de notre innocence ? ».

Assis sur les marches de la butte Montmartre, j’imagine Paris soumise aux vandales du futur, des révolutionnaires dont j’ignore tout des intentions et qui, pioche en mains, s’en prendront violemment aux monuments célébrant les idéologies mourantes et aux mausolées républicains. Burinés les frontons de mairies ! Saccagés l’Assemblée Nationale et le Sénat ! Couchées les tours des multinationales !
Telle est la mécanique, la loi immuable, le mouvement séculaire.
Le poing dans la gueule demeure l’arbitre en dernière instance.
Derrière moi, sous le château à la crème (le Sacré Cœur), gisent probablement quelques vestiges d’un édifice consacré à Lug. Je prendrais bien ma pioche moi aussi, pour restaurer dans son droit celui capable de rétablir la justice et la beauté, si je n’étais certain de trouver sous les ruines de son temple les vestiges d’un culte plus ancien encore.
Glam Dicinn ! Trois furoncles sur la gueule du pouvoir.


Stéfan Brochard                                                                                                                12.10.12
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