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   Au mois de décembre, seul, j’empruntai une voiture pour me rendre sur la plage de Donnant. Je partis en direction de la Pointe des Poulains et imitai un long moment la course d’un soleil invaincu. Marta, Runello, Kervellan, puis je pris à gauche entre les menhirs – Jean et Jeanne - avant le hameau de Lanno. J’entamai ensuite une longue descente en lacet jusqu’à l’océan. Le parking derrière moi, je traversai péniblement le ruisseau débordant, gravis la dune pour enfin surplomber la plage qui s’offrait à moi, exclusivement. Ni chair ni âme sur ce sable nomade, personne pour éveiller ma pudeur et m’empêcher de communier ici, avec l’univers. La lumière, l’eau, l’écume, la roche, le chardon ; tous reliés par l’élan premier, tous transpercés par le champ de l’atome, tous rythmés par le flux et le reflux, tous bercés par le vide infini, tous défendant vaillamment l’éphémère assemblage qui conduit le hasard au merveilleux. L’abondante pluie des jours précédents avait cessé mais son souvenir ruisselait toujours le long des pentes gorgées, n’en finissant plus de ronger le vallon et de taillader la plage. L’eau douce venue du ciel se précipitait dans la gorge de son maître océan, dévorant chacune de ces gouttes pressées d’en finir avec le voyage. De la plage il ne restait plus guère qu’une bande de sable maintenue laborieusement grâce aux herbes hautes. Sur la droite, une forte entaille laissait entrevoir les pierres lourdes reléguées aux entrailles une année durant. Le débit rapide de l’eau de pluie emportait la plage et créait ici et là de petits effondrements à la façon de démolitions contrôlées, des pans entiers de sable chutaient puis disparaissaient sous l’océan. Tout ce sable, englouti par tombereau sous mes yeux ! Je croyais entendre le murmure de Saturne. A l’approche du solstice d’hiver, il venait à moi pour me dire une plaisanterie sur l’éternité.

Aujourd’hui 15 août, l’atmosphère est tout autre. Les cycles ont rétabli la nécropole de coquillages en sa demeure, la chaleur engourdit mes neurones et un calme apparent parvient presque à me faire oublier la fureur des éléments et la promesse du sablier. Imitant les pluies d’hiver, nous dévalons en touristes cette pente pour nous jeter à notre tour dans l’océan. L’été semble tout autoriser, c’est ce qui le rend vulgaire. La plage est de nouveau domestiquée, des dizaines de milliers de minuscules cratères lui donnent un aspect lunaire. La plaie béante s’est refermée. C’est un théâtre de douceur, d’abandon et d’abondance. Les jeunes femmes arborent fièrement des formes fraîchement acquises, leurs maillots colorés ne font qu’attirer un peu plus l’attention sur les rares parties de leurs corps dissimulées par un fin tissu. Personne ici ne doit ni peut ignorer qu’elles sont nubiles. Leurs ventres disponibles sont des étendards qui claquent au visage des bien-pensants dont je fais partie. A distance raisonnable de ce type de tourment, je me remémore le vers de Samuel Butler : « La poule est seulement un moyen pour l’œuf de faire un autre œuf ». Les jeunes hommes quant à eux, se voient interdire toute possibilité d’afficher les qualités volumétriques de leurs attributs ; porter un slip de bain moulant les priverait sur le champ de tout avenir sexuel. Le règne du mâle touche à sa fin.

Heureuse, vivant, jouissant sans retenue des plaisirs de la baignade, une foule coagulée donne des allures de grande fête païenne à ce rassemblement. Une célébration inconsciente de l’unité du tout ; un jeu. Plonger dans ces vagues inoffensives, c’est célébrer à moindres frais la beauté inégalable de la vie, c’est pénétrer le sein nourricier et prendre rendez-vous. Un jour prochain, le corps devra se désassembler méthodiquement, silencieusement, pour l’éternité, et redevenir lumière, eau, écume, roche, chardon. Combien d’êtres fondus dans cet océan ? Combien d’êtres en devenir ?

J’ai rendez-vous aussi.

Que la vie m’offre cette ultime chance ainsi que le courage de venir déposer moi-même chacune de mes particules dans son creuset, au pied des îles Er Hastéllic.

 


Stefan Brochard                                                                                                           15.08.2013

 

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